Notre service de renseignement a découvert un hangar de vivres qui devaient partir pour l'Allemagne. Nos gens
ont attaqué et ont apporté rue de Grenelle beaucoup de boîtes de sardines, des cigarettes et des pâtes. Depuis ce jour-là jusqu'à la libération
il y avait toujours sur le feu une marmite avec des pâtes. Inutile de vous décrire le goût de cette bouillie; mais nous avions tous faim et nous
mangions "avec plaisir". Je m'étais promis qu'après-guerre, jamais plus je ne mangerais de pâtes.
Le 21 ou 22 avril 1944. C'était l'anniversaire d'Hitler et il a voulu montrer que son armée était encore forte, malgré
les durs combats et pertes en Russie et en Afrique.
Il a fait défiler les troupes dans Paris. Pour la nuit, ils ont logé dans la caserne coloniale à la Porte de Clignancourt.
J’étais revenue d’une longue tournée fatigante ; j’ai reçu une journée et une nuit de repos. J’ai rejoint Jean qui m’attendait dans un café.
Nous avons passé l’après-midi ensemble sans penser à tous nos problèmes. Avant le couvre-feu, nous sommes allés chez ses parents qui
étaient, eux cachés à Suresnes, près de Paris. J’aimais beaucoup aller chez eux… C’étaient les seuls qui étaient au courant de mes activités.
Chez eux, J’étais bien, je pouvais parler sans mentir. Durant la nuit, nous avons été réveillés par un terrible bombardement, le plus important
qu’il y a eu dans la région parisienne
Et c’était dans la région où étaient mes parents.. Les anglais ont bombardé pendant plusieurs heures. Il fallait attendre plusieurs heures pour
pouvoir sortir. Les métros ouvraient seulement vers les 6 heures.. Et il y avait déjà des tableaux qui indiquaient les stations fermées. Moi, je
pouvais arriver jusqu’à Barbès-Rochechouart et de là, J’avais encore quatre stations à faire à pied. Evidemment, à partir de Barbès toute
circulation était interdite. Jean, qui m’accompagnait a dû repartir. Moi, avec mon brassard de la Croix-Rouge, j’avais le droit de passer. Ce
que j’ai vu durant cette marche était terrible, atroce, ces corps déchiquetés. Je préfère ne pas écrire à ce sujet. J’avais très peu d’espoir de
revoir tous ces gens qui m’étaient si chers. Là où J’aurais dû apercevoir la baraque, plus rien, personne, une odeur de brûlé, de la fumée,
Les gens affolés courant, désespérés. Il y avait des morts et des blessés, pas d’aide,
pas de soins ; les allemands exigeaient que toute l’aide soit donnée à leurs soldats ; les civils après, ils pouvaient attendre. Moi, je cherchais
et je marchais à travers tout. Quand j’ai entendu appeler « Judith », j’ai cru rêver, mon petit frère était là, vêtements déchirés, sale, mais bien
vivant. Il m’a sauté au cou et, en pleurant m’a dit «sommes tous vivants». Inutile de décrire ma joie et mon émotion. J’ai retrouvé tous les miens,
assis par terre, très inquiets, ils avaient très peur et encore sous le choc.
Ils avaient fait des baluchons avec le peu qu’ils avaient retrouvé. Mon père avait été projeté contre un arbre par la déflagration et était blessé à
la jambe ; elle était devenue énorme et très douloureuse ; il ne pouvait plus marcher. Dès le début des
bombardements, Marcel a eu très peur et a entouré ma mère de ses bras. Ce face à face leur a protégé le visage à tous les deux. La barque s’est
effondrée et eux deux ont été ensevelis pendant plus de deux heures. Ils en sont sortis sains et saufs. La tante Erna et son fils Jules étaient
indemnes.
Il fallait quitter les lieux au plus vite avant que les allemands ou l’aide n’arrivent. Il
Etait bien trop risqué pour mes parents de rester sur place. Sous les décombre, j’ai trouvé un vélo encore en assez bon état pour y asseoir mon
père. Nous avons tous marché de la Porte de Clignancourt à la rue Archereau (métro Crimée), où j’avais loué et installé la chambre pour moi, en
cas où…
J’ai été si heureuse d’avoir ce toit pour les miens. Je voulais leur faire cette surprise; ils se demandaient où je les
conduisais. Ils ne posaient pas trop de questions, ils étaient encore sous le choc du terrible bombardement. Ils étaient très fatigués et avaient
surtout peur d’être arrêtés. Ils n’avaient aucune pièce d’identité.
Ma mère n’était plus sortie dans la rue depuis Juillet 1942, mon père depuis août 1941. Nous étions en Avril 1944.
Nous avons marché très lentement; conduire le vélo avec mon père assis dessus, n’était pas très facile pour moi.
La milice et la police grouillaient dans les rues. Je me demande par miracle comment on ne nous a pas interpellés.
Mon uniforme et mon brassard de la Croix-Rouge m’ont énormément aidé. Pour les miens, qui n’étaient pas au courant de cette pièce, ils ont été
bouleversés de trouver un toit. C’était petit et à l’étroit, mais certainement mieux que là où ils avaient passés les deux dernières années. Leur
émotion a été grande quand ils ont retrouvé toutes leurs affaires. Il me fallait de suite trouver de quoi nourrir cinq personnes, pas facile. Il me
fallait tout de suite de l’argent pour graisser la concierge. Elle ne devait pas apprendre que c’était mes parents et surtout des juifs; c’étaient
des sinistrés des bombardements. Mon groupe m’a beaucoup aidé ;
ma paie mensuelle a été augmentée, ce qui m’a permis d’aider mes parents. Pour les tickets de ravitaillement, ce
n’était pas un problème. A ma mère et à ma tante, j’ai fait des cartes d’identité ; Marcel et Jules ont reçus des actes de naissance et ils ont très
vite appris leur nouvelle identité, ce qui m’a permis de les placer tous les deux ensemble chez des paysans où ils sont restés jusqu’à la
libération. Ils étaient très heureux d’être en liberté chez de très braves gens. Ma mère et ma tante n’étaient pas connues dans cette région,
ce qui leur permettait plus facilement de sortir et de faire la queue comme toutes les femmes.
Je suis allée voir ce qui restait de notre appartement de Saint-Ouen; incroyable, la maison avait été coupée en
deux. Dans la rue, je voyais notre bibliothèque suspendue.
Du peu d’affaires que j’avais laissées, il ne restait plus rien ; heureusement que j’avais sorti la partie la plus
importante pour mes parents. J’étais très contente d’avoir cette chambre où ils sont restés jusqu’à la Libération et même un peu plus.
Quand j’étais à Paris, j’arrivais plus facilement à leur rendre visite, à leur donner des nouvelles de Marcel et de Jules. Ils ne savaient toujours
pas ce que je faisais, me croyant toujours travailler dans un home d’enfants. Mais ils trouvaient bizarre que j’aie des relations qui me donnaient
régulièrement des tickets d’alimentation, et pour mon père des cigarettes et du tabac et, en plus, des cartes d’identité pour mère et ma tante
Erna. Moi, je continuais toujours avec mes mensonges. J’étais heureuse de pouvoir aider mes parents.
Je continuais mes voyages. Il nous fallait de plus en plus de cartes de ravitaillement
Et de cartes d’identité. Nous avions des contacts avec différentes organisations de résistance. Le chef du M.L.N. «Mouvement de Libération
Nationale» à Paris, un juif du nom de «Cachoud», avait besoin d’aide; plusieurs de ses compagnons avaient été arrêtés. J’ai été chargée d’un
ordre de mission de la Croix-Rouge; je devais me rendre dans un orphelinat de la banlieue de Lyon où je devais remettre une valise de documents
et une grosse somme d’argent Ma mission réelle était de transporter cette valise de 50/60 cm remplie de faux papiers et cette grosse somme
jusqu’à Lyon où une personne m’attendrait à la descente du train et moi, je devais reprendre le premier train pour Paris – très simple- mais
hélas, peu avant la Gare de Moulins, qui était la ligne de démarcation entre les deux zones et où le contrôle était toujours très sévère, le train
s’est arrêté et la milice et les allemands sont montés, ont contrôlés les pièces d’identité et ont gardé toutes les cartes des personnes jeunes
et la mienne aussi.
Nous avons dû descendre à Moulins; j’ai pris ma sacoche et j’ai laissé ma valise dans le filet au-dessus des sièges,
mais une personne très aimable a fait remarquer «Mademoiselle, vous oubliez votre valise». L’allemand, qui avait ma carte et mon ordre de
mission, a pris la valise. Je savais que ma dernière heure avait sonné.. J’ai raconté mes mensonges et j’ai demandé à déposer ma valise à la
consigne. Encore une fois, mon uniforme et mon brassard ont été mon sauveur. Cet allemand parlait un peu le français/sans problème; il a
déposé la valise à la consigne et a empoché le billet,
Ce qui n’était pas bon pour moi. Il m’ a conduit à la Kommandantur où j’ai attendu mon Tour avec tous les autres jeunes et nous étions
nombreux. J’ai été appelée dans le bureau d’un officier haut gradé et l’interprète me transmettait les questions, posées Evidemment en
allemand, ce qui me donnait des secondes de réflexion. Ma sacoche a été vidée et confisquée.
L’interrogatoire n’a pas été trop dur ; j’étais en uniforme de La Croix-Rouge, peut-être cela a-t-il fait un peu
d’effet sur l’officier. Comme il était déjà tard, que la Préfecture était fermée et qu’il voulait absolument faire un contrôle De mes papiers
d’identité, j’ai été enfermée à la prison de Moulins. Il est difficile à 19 ans et, après quatre années de résistance, et si près de la fin de la
guerre, de savoir que demain serait mon dernier jour.. Ma carte d’identité était une carte de la Préfecture de Paris, qui dans notre laboratoire
a été grattée, repeinte et refaite pour moi; cette carte avait appartenu a un juif décédé. Pendant cette nuit, quelle peine j’avais, surtout pour
mes parents. Je ne me souviens absolument pas de l’intérieur de la prison, ni de la cellule, vide complet. Par contre, je me souviens très bien
de la Mairie.
Le matin, deux allemands sont venus pour me conduire à la Préfecture de Moulins. Je me souviens très bien et
je revois encore aujourd’hui les quelques marches qu’il fallait monter et, celles-là, j’étais certaine que je ne les descendrais plus. Un des
allemands a remis ma carte à l’employé qui a demandé de revenir en fin d’après-midi. Je suis reconduite en prison. En fin d’après-midi,
deux autres allemands Sont venus pour me reconduire à la Préfecture… Cette fois, c’était certain, pour moi c’était la fin. A cette époque,
il était difficile de faire un contrôle des papiers et de prendre des renseignements, par téléphone, d’une Préfecture à une autre. Incroyable
mais vrai, l’employé m’a remis ma carte d’identité, avec un large sourire et m’a dit: «Mademoiselle, vos papiers sont bien en règle»; cette
carte, que j’ai toujours, porte le tampon de la Préfecture de Moulins du 16 mai 1944.. Même aujourd’hui, il est difficile de vous décrire ma joie;
j’étais tombée sur un employé résistant. Mais je n’étais pas encore libre. Les soldats m’ont conduits à la Kommandantur où ma sacoche, mon
argent et mon ordre de mission m’ont été remis sans problème. Malgré le danger et la peur, j’ai décidé de retourner à la consigne pour reprendre
ma valise. Juste avant de monter dans le train, les allemands ont fait un contrôle des bagages et des papiers avec la milice ; je suis passée sans
problèmes grâce aux jolis tampons
frais que j’avais sur tous mes papiers. Dans cet instant fatidique, la vie et la mort ne tiennent qu’à un fil, le hasard tire la bonne ou la mauvaise
carte pour nous.
Je suis partie pour Lyon. Je n’avais plus de contact, pas d’adresse, pas de nom. On savait certainement que j’avais
été arrêtée. Les journaux ont écrit que, juste avant Moulins, les résistants avaient fait sauter un train de soldats et que ces soldats seraient
vengés. Mes camarades savaient la suite. Nous n’avions pas le droit d’écrire des adresses. Je me souvenais très bien par coeur de celle de
mon amie Marie Tajidler qui habitait avec sa famille dans la banlieue de Lyon. Je suis allée la surprendre (Marie vit actuellement à Netanya).
A elle, il fallait que je dise la vérité. Elle connaissait très bien la soeur de mon chef Tony et, par elle, j’ai pu retrouver le contact et remettre
valise et argent. J’avais enfin accompli ma mission.
Je suis retournée à Château-Gontier, où je me trouve le 6 juin 1944, jour du débarquement des troupes alliées en
Normandie; plus de trains de Château-Gontier pour Paris ! Je dois rentrer, car j’ai encore beaucoup de matériel dont ils ont besoin à Paris.
J’ai certainement fait 60 à 70 kilomètres en vélo pour arriver à la Gare de Laval. Des centaines de personnes attendent comme moi, le train
pour Paris. Mais ce n’est pas le train qui arrive, c’est une alerte – panique - les gens se sauvent.
Je suis épuisée, je trouve enfin un banc libre; je met ma sacoche sous la tête et je m’endors. Je n’ai pas entendu
les bombardements; c’est quand des infirmiers sont venus ramasser morts et blessés et qu’ils ont voulu me prendre, je me suis réveillée.
On venait de toucher à ma sacoche, «mon trésor». J’ai attendu des heures le passage d’un train, en vain.
Seulement un train avec des soldats et des soldates allemandes, qui voulaient arriver à Paris pour partir de la Gare du Nord vers l’Allemagne.
Personne ne pouvait monter. A nouveau, ma tenue de la Croix-Rouge et mon brassard de la Croix-Rouge m’ont aidé, je suis partie avec eux.
Les anglais étaient bien au courant et renseignés et le train a été mitraillé à plusieurs reprises. Il fallait sauter et courir se cacher dans les
champs, dans l’espoir d’en sortir vivant. Ce voyage a certainement duré 20 heures. Ma sacoche et moi sommes arrivés à Paris. Mais, pas de
vélo; il a dû être volé. Il m’en fallait un autre absolument, c’était extrêmement important. Il n’y en avait pas en vente et je vous laisse deviner
ce que des camarades ont fait pour moi…
Nous nous préparons pour la Libération et les combats. Nous cousons dans de vieux chiffons des brassards
sur lesquels est écrit F.F.I. (Forces Françaises de l’Intérieur).
C’est vers le 16 août 1944, que commencent dans certains quartiers, les premiers combats de rue. Mais les
allemands sont toujours là et tuent sans pitié. Les résistants seront également sans pitié. Comme notre groupe n’a pas assez d’armes er
ne peut combattre seul, nous nous sommes joints au groupe «Charcot-Neuville» qui, lui, nous donnait les ordres et les ordres de missions.
Notre groupe a libéré le camp de Drancy. Il y avait encore dans le camp près de deux mille juifs qui ont échappés à la déportation.
Les gens se préparent au combat dans les rues, montent des barricades; les combats ont été très durs à
Saint-Michel et à la Préfecture.
J’ai été armée comme tous. J’ai participé aux combats comme agent de liaison. Je roulais toujours en vélo.
La milice et les collaborateurs ne voulaient pas se rendre et par petits groupes ou tout seuls, installés sur les toits des maisons, tiraient
sur tout ce qui bougeait dans les rues. Les résistants tiraient également. Il y a eu énormément de blessés et aussi des morts. Pour nous,
circuler était difficile. Pour arriver plus vite, j’ai été obligée de prendre une moto. Un camarade l’ mise en marche et m’a dit : «Roule comme
sur ton vélo»; je suis arrivée à la Préfecture à l’heure, mais comment arrêter la moto ?!
Mais j’avais accompli ma mission. Le groupe juif reçoit l’ordre de garder le Petit Pont, près du Parvis Notre-Dame,
afin d’empêcher les allemands de le faire sauter.
Puis, le groupe juif a reçu l’ordre de se présenter à la Pace Denfert-rochereau. Nous avons été chargés de faire les
policiers et de recevoir la première colonne de la Division Leclerc ; c’était un moment extraordinaire, quelle émotion ; le soir, toutes les cloches
de Paris ont sonné. Je me suis mise à pleurer en pensant à tous ceux qui ne vivaient pas ce moment ? C’était quelque chose de très fort; mais
qui venait si tard. Nous étions libres. Mais la guerre n’est pas terminée; de nombreux camarades, après la libération, s’engagent dans l’armée.
Comme mon ami Lucien Rubel, il combat aux côtés de Charcot-Neuville qui sera tué et Lucien blessé; c’était près de Metz.. Pour nous, à Paris
notre groupe a une grande et dure tâche à résoudre : nous ouvrons un service social, nous devons chercher un foyer pour des milliers d’enfants
sans parents, ouvrir des homes, rechercher si ces enfants ont peut-être encore de la famille, rechercher tous les enfants placés soit chez des
paysans, soit chez des religieux. Faire partir le plus possible d’enfants et de jeunes en Palestine. Dans notre bureau de Paris, je dois recevoir
les adultes qui cherchent de l’aide; ils ont tout perdu et ont été cachés pendant des années, comme mes parents. Ils demandent un toit, un lit,
de l’argent. Et chaque personne me raconte ce qu’elle a vécu durant ces dernières années.
Le malheur est très grand. Je rentre le soir épuisée. Impossible de dormir. Impossible de se réjouir de cette liberté.
Avec beaucoup de difficultés, j’obtiens un appartement pour mes parents, dans un vieil immeuble, rue
Charlemagne. Ils sont heureux d’avoir un toit. Mes parents sont courageux, ils vont recommencer à zéro. Je vais chercher Marcel et Jules
chez les paysans qui ont été très chics avec les garçons. En les remerciant, je leur dis qu’ils ont pris soin de deux enfants juifs ; ils ne
voulaient pas le croire, car pour eux, le juif avait une tête spéciale, comme sur les affiches de propagande. J’avais encore mon arme et avant
de la rendre, je suis allée avec un ami, Maurice Klukstein, récupérer l’appartement de la tante Erna aux Lilas. Des voisins occupaient
l’appartement et avaient pris les meubles et tout ce qu’il y avait à l’intérieur: linge, vaisselle, etc. Ils ne voulaient pas le rendre. Je n’ai pas
eu de pitié. Qu’ils sortent tout de suite, sans emporter quoi que ce soit, ou je tire !
Je ne sais pas jusqu’à aujourd’hui me servir d’une arme, mais le brassard F.F.I. et la Sten ont fait de l’effet; ma
tante a récupéré ses biens.
Je continuais au Service Social; je souffrais toujours de mon genou Il fallait aussi commencer des soins. Je
souffrais aussi d’hémorroïdes et là aussi, il fallait des soins. Nous avions tous loué des chambres dans une pension du 5ème arrondissement.
Le médecin m’a obligé à prendre du repos.
J’ai arrêté mon travail pendant très peu de temps.. J’ai suivi un traitement à l’hôpital
L’Hôtel-Dieu où on m’a sorti l’eau que j’avais dans le genou. Après plusieurs séances, J’avais encore plus mal. Comme j’avais trop de choses
à régler, je ne suis pas retournée. Je devais surtout aider les miens. Dans Paris, se nourrir était un grand problème; le marché noir, datant de
l’occupation, fleurit de plus belle. Mon frère Marcel retourne à l’école.
Les troupes alliées avancent et libèrent les premiers camps de concentration…Les
Russes avancent également et eux aussi libèrent des camps.
En septembre, Alfred revient avec son père du camp de Vittel où ils étaient depuis
quelques mois. Nous attendons et espérons voir bien vite le retour de ceux qui nous sont si chers… On prépare le retour. On ouvre un centre
d’accueil à Paris à l’hôtel Lutetia. J’ai travaillé quelques jours. Les premiers déportés sont arrivés en petit nombre. Des cadavres ambulants,
c’était terrible; c’était aussi terrible de voir toutes les personnes qui attendaient et quand les déportés arrivaient de crier des noms; peut-être
qu’un des leurs était dans le même camp. Je n’avais plus la force de continuer; j’ai quitté. Les troupes avançaient et libéraient des camps. Il
n’y avait pas assez de moyens pour les rapatrier. Ils arrivaient petit à petit. La plupart des vivants ont dû être hospitalisés avant le rapatriement.
Le 8 mai 1945, la fête de la victoire a eu lieu; pour nous, juifs, ce n’est pas encore la fête. Le 10 lai 1945, je suis rentrée dans une clinique pour
me faire opérer des hémorroïdes. Au retour de la clinique, je suis resté couchée pendant quinze jours chez mes parents.
En 1945, l’Armistice a été signé. Les prisonniers de guerre rentrent en France. Les
Rescapés des camps arrivent. Deux de mes amis de l’Hanoar sont revenus: Marcel, dit «sanglier» et Henri Brauman, qui, lui ne vit plus
aujourd’hui. Tous les deux avaient été avec mon frère qui lui, n’est pas revenu, il est mort du typhus. Mon cousin Jacques s’est jeté sur les
fils barbelés électrifiés. Mon oncle Max est mort dans le train avant d’arriver à Auschwitz. La mort de mon frère Joël a été terrible pour mes
parents; pour moi, cela a été une énorme perte et un très grand chagrin. Pour moi, il restera toujours le jeune homme de 20 ans que jamais
je ne pourrai oublier. Mon petit frère Marcel a certainement eu beaucoup de chagrin. Je pense qu’il ne se souvient pas très bien de lui. Par
la Croix-Rouge, nous avons appris l’extermination des parents, des trois soeurs et de leur famille, à ma mère. Mon père a perdu deux soeurs
et familles.
Trente-deux membres de ma famille ont été exterminées. Pour nous tous, jamais cette plaie ne guérira. Malgré
nos peines et notre chagrin, il faut penser à l’avenir, construire une nouvelle vie. Nous sommes encore, nous jeunes, un peu perdus et
indécis. Je suis allée suivre des cours de sténo et apprendre à taper à la machine à écrire. J’ai travaillé quelque temps au sécrétariat de
l’organisation sioniste. La réadaptation à cette vie normale m’a été très difficile. On ne peut pas effacer toutes ces années noires du jour au lendemain. Il a fallu du temps.
J’ai eu énormément de chance durant toutes ces années. Aujourd’hui, je suis la seule survivante du groupe avec lequel j’ai commencé.
Je ne peux pas déposer ma plume sans penser, avec émotion, à tous mes collègues et amis qui ont payé de leur vie.
On avait des opinions politiques différentes, mais le danger, l’inquiétude, les souffrances, les faiblesses, la peur,
le courage, le combat coude à coude de ces femmes et hommes, d’origines diverses et de milieux divers, demeure pour les survivants un lien
très fort et une grande amitié.
Témoin de cette lutte et parmi les derniers survivants de ces années noires, je n’ai pas été dans un camp de
concentration, mais la mort m’a frôlée plus d’une fois. Ma jeunesse a été très mouvementée, mais pas terrible en comparaison de bien d’autres.
Je suis heureuse d’avoir, après 50 ans et plus, pu écrire pour vous, avant que l’oubli ne me menace.
Il y a énormément à raconter, cinq ans c’est long… Cela n’a pas été facile pour moi d’écrire, de faire revivre un
passé et des fantômes encore si vivants pour moi. Celui qui n’a pas vécu cette époque a du mal à réaliser et à comprendre. Maintenant à vous,
mes très chers, de transmettre le flambeau aux générations futures…
Judith Markus
Mes remerciements a mon ami
JO AYBES
Pour son aide et son devouement.
Mes remerciemets egalment a mes enfants
ETHEL et ALAIN pour tout leur travail
Petah-Tikva, Juillet 1999